jeudi 12 juin 2008

Cela dépend de nous !!

Je ne sais pas si c’est l’effet de l’âge ou des responsabilités, j’éprouve toujours une immense joie à rencontrer mes confrères avec lesquels j’ai commencé ma carrière de médecin. Au cours de ces rencontres je reste toujours attentif à l’idée qu’ils se font du métier et des perspectives qu’ils dessinent en matière de santé des africains.
J’ai eu la chance, à ce jour, de ne point être déçu par ce que j’ai pu apprendre grâce à mes amis et confrères.
Mais je dois avouer que jamais, je n’ai été aussi impressionné par ce que j’ai pu entendre en rencontrant le Docteur M.N il y a quelques semaines. Ce confrère avec lequel j’ai partagé de longs week-ends de gardes dans un hôpital dakarois qui ne manquait pas trop de moyens est devenu médecin-chef de district dans une région déshéritée du Sénégal. Avant d’atterrir à cet endroit mon confrère a eu un parcours qui l’a amené au service de la santé des populations les plus démunis du pays. Ne nous voilons pas la face, ce parcours ne répondait pas à des choix délibérés. Le docteur M.N tout comme moi et bien d’autres de la génération des ajustements structurels, n’avons pas eu beaucoup de choix. Le pays manquait cruellement de médecin et autres personnels de santé mais ce n’est pas pour autant que nous croulions sous les offres d’emploi.

Il y a moins de cinq ans la zone que couvre le district du docteur M.N était un désert sanitaire. Depuis le poste de santé dans lequel il a installé ses quartiers, est devenu le centre de santé de référence. C'est-à-dire qu’il assure les fonctions opérationnelles — prises en charge des accouchements compliqués ; urgences médicales et soins intensifs ; urgences chirurgicales ; laboratoire ; radioscopie ou radiographie et supervisions des postes de santé—, ainsi que des taches de gestion. D’autre part, il a développé un réseau de postes de santé qui assure dans leurs zones de compétence les activités opérationnelles : prise en charge des maladies chroniques ; consultation prénatale ; vaccination ; récupération nutritionnelle ; planification familiale, et aussi les activités gestionnaires tels que la gestion financière, la gestion pharmaceutique, l’enregistrement de la population concernée par le poste de santé et la participation des populations.

Ces performances n’ont pas été réalisées par la mise en place d’un projet structuré bénéficiant de financements conséquents de bailleurs de fonds internationaux tels que USAID, AFD, Banque Mondiale ou autre JICA.
C’est l’histoire de tout petit bouts qui réunis donnent cette belle réussite. Cela a commencé par la mobilisation sociale dans le sens des objectifs fixés (mise en place d’un district sanitaire), le recrutement et la formation d’agents de santé communautaires locaux, la responsabilisation des collaborateurs. Quand il a fallu équiper en mobiliers le centre de santé, l’hôpital régional qui en avait en rabe a été sollicité et une solution respectueuse de toutes les normes administratives a été trouvée. Grâce à une collaboration étroite avec la hiérarchie et d’autres collègues des solutions de bon sens ont été trouvé aux problèmes posés. Des partenariats ponctuels avec de petites associations françaises et belges ont permis de bénéficier de matériels et de consommables.
La morale de cette success story est que l’inventivité peut parfois compenser le manque de moyens financiers. Le docteur M.N pense qu’en a lui que pour un 60 à 70% il dépend uniquement de nous pour changer les choses.

dimanche 8 juin 2008

Le secteur pharmaceutique sénégalais

Le secteur pharmaceutique sénégalais est marqué par son dynamisme et le rôle de tout premier plan qu’y joue le privé. Jusqu’ à une date récente il a été caractérisé par l’exemple qu’il donnait à nombre de pays africains en terme de qualité de la formation de ses cadres, d’organisation et de respect à tout égard des bonnes pratiques pharmaceutiques. Depuis le milieu de la décennie 80 caractérisé par l’explosion démographique, l’essoufflement du modèle économique post colonial et la mise en place des politiques d’ajustement structurel on assiste à une crise de croissance qui par certains aspects frise la régression.C’est le moment de faire un état des lieux susceptible de proposer aux acteurs du secteur des pistes de réflexion.
1. Réglementation et contrôle de la qualité du médicament
La réglementation pharmaceutique au Sénégal s'inspire de textes qui ont été conçus pour certains d'entre eux durant la période coloniale et le début de l'ère des indépendances, mais aussi de ce qui se fait en la matière en France depuis lors. Cette réglementation, outre son obsolescence par certains de ses aspects, pose des problèmes quant à son application puisque les administrations ayant en charge le contrôle notamment la Direction de la Pharmacie et du Médicament (DPM) sont dépourvues des moyens humains et matériels nécessaires.
La loi sénégalaise consacre le monopole, assorti de quelques dérogations, du pharmacien diplômé et inscrit à l'Ordre des Pharmaciens dans la manipulation du médicament. Parmi les dérogations, on peut noter celle qui permet que les médicaments soient vendus dans les structures périphériques de soins tels les postes de santé et centres de santé par des agents de santé communautaire.
La commercialisation de tout médicament est soumise à l'obtention d'un visa de spécialité pharmaceutique délivré par la DPM. Pour obtenir ce visa, le laboratoire qui veut le commercialiser doit fournir, entre autres, le dossier d'autorisation de mise sur le marché (AMM) dans son pays d'origine, des rapports établis par des experts indépendants du fabricant parmi lesquels on notera un rapport analytique, un rapport d'expertise toxicologique et un rapport d'expertise clinique. Lorsque la demande concerne un médicament générique, le fabricant, à sa demande peut être dispensé des rapports d'expertise pharmacologique, toxicologique et clinique. Il ne fournira que le rapport d'expertise analytique et une étude de bioéquivalence et de biodisponibilité. Le visa est valable cinq ans et son renouvellement nécessite une nouvelle demande.
Le visa est octroyé après avis conforme de la Commission nationale du visa qui est constituée d'experts. Cet avis est normalement déterminé par l'appréciation de l'efficacité, de l'innocuité de l'intérêt thérapeutique et du rapport bénéfice / risque qui doit être au moins égal à celui des traitements préexistants. L'AMM d'un produit peut être suspendue, dès lors que le produit n'est plus en vente légale dans son pays d'origine.
Outre l'octroi des visas sur la base des avis formulés par la Commission Nationale, la DPM est chargée d'encadrer et de contrôler l'activité pharmaceutique.
La DPM est chargée également de l'homologation des prix des médicaments. Pour mener à bien son action, la DPM dispose de l'Inspection Pharmaceutique.
Le contrôle de la qualité du médicament relève de la compétence du Laboratoire National de Contrôle des Médicaments (LNCM) qui est doté d'un statut autonome et de moyens financiers.
Les spécialités importées par la Pharmacie Nationale d'Approvisionnement (PNA) et les ONG, les dons de médicaments, échappent à la procédure d'obtention du visa. Les médicaments importés par la PNA, ne font pas, contrairement à la filière privée, l'objet de contrôle qualitatif.
Les produits pharmaceutiques sont totalement exonérés de droits et taxes à l'importation et de TVA à la vente. Toutefois, depuis le 1er janvier 2000, les importateurs doivent payer un droit de 2,5 % qui est composé de trois taxes : le prélèvement UEMOA de 1 %, le prélèvement CEDEAO de 0,5 % et la redevance statistique de 1 %. Ces prélèvements décidés dans les instances communautaires (CEDEAO, UEMOA) sont pris en charge par l'État du Sénégal qui veut éviter de la sorte qu'ils ne soient répercutés sur le prix de vente des médicaments.

2. La production locale
La majeure partie des médicaments qui sont vendus sur le marché sénégalais est importée, essentiellement de la France. Une partie est produite sur place par trois entreprises
Aventis Pharma, filiale à 65 % du groupe Aventis Pharma S.A. C'est la principale industrie pharmaceutique au Sénégal. Elle fabrique des spécialités pharmaceutiques sous licence, des médicaments génériques qui sont commercialisés sous nom de marque ou Dénomination Commune Internationale (DCI).Elle contribue à 20% de la production locale et exporte pour 25 % de son chiffre d’affaire en Afrique de l’ouest principalement.
Pfizer Afrique de l’Ouest fabrique des spécialités sous licence et des génériques sous son nom commercial. L'essentiel de ses ventes se fait à l'export dans la sous région, car c'est une entreprise située en zone franche.
Le laboratoire Canonne Valdafrique qui fabrique des spécialités.
Ces trois entreprises produisent surtout des spécialités pharmaceutiques mais également quelques génériques. La production de génériques sous nom de marque et sous DCI ne représente que 5 % de leur production.
L’Institut Pasteur de Dakar produit le vaccin contre la fièvre jaune qui est vendu à travers le monde. La production annuelle du vaccin amaril est d’environ 10 millions de doses.
3. Approvisionnement et distribution
La commercialisation licite des médicaments est assurée par deux filières : une filière privée et une filière publique. La filière privée concentre 85 % de la valeur marchande du marché licite du médicament et distribue plus de 3 500 références (hors parapharmacie) à travers quatre grossistes répartiteurs et plus de 600 officines pharmaceutiques. Elle distribue essentiellement des médicaments sous nom de marque (un nombre important de médicaments sont des produits de conseil, et moins de 5 % du chiffre d'affaires sur des médicaments essentiels sous DCI).
La filière publique encadrée par la Pharmacie Nationale d'Approvisionnement est un service public dépendant du Ministère de la Santé avec le statut d'établissement Public de Santé (EPS), et qui bénéficie d'une autonomie financière. La PNA est constituée d'une structure centrale chargée de l'importation des médicaments, à laquelle sont rattachées cinq pharmacies régionales d'approvisionnement situées à Dakar, Saint-Louis, Kaolack, Tambacounda et Ziguinchor qui sont chargées d'approvisionner les districts sanitaires, les établissements de soins publics ou privés à but non lucratif. La PNA est un grossiste répartiteur, limité au secteur public et parapublic. Son chiffre d'affaires en 2000 a été de 6,5 milliards de francs CFA. Il a été assuré à 90 % par les génériques et 10 % par les spécialités pharmaceutiques.Pour son approvisionnement en médicaments, la PNA opère par des appels d'offres internationaux.
Les médicaments importés par la PNA n'ont pas tous de visas et ne font pas l'objet de contrôle qualitatif systématique comme dans la filière privée. Cependant une initiative conjointe de la PNA, du Laboratoire Central de Contrôle des Médicaments et de la DPM va permettre que les médicaments importés subissent des contrôles physico-chimiques, pharmacologiques et microbiologiques et à plus long terme, de biodisponibilité in vitro.
Depuis la mise en place de l'Initiative Sénégalaise d'Accès aux antirétroviraux, la PNA est chargée de l'importation des médicaments pour ce programme gouvernemental.
Il existe un marché illicite du médicament que l'on estime entre 4 et 6 milliards de francs CFA. C'est un marché qui, bien qu'illégal, n'en est pas pour autant clandestin. C'est un commerce qui se fait au vu et au su de tous, avec des places fortes comme le lieu dit « Kër Sérigne Bi » à Dakar .Dans de nombreux marchés du Sénégal, il existe des lieux destinés à ce commerce et les vendeurs, à l'instar de tous ceux qui y exercent, s'acquittent des taxes auxquelles ils sont assujettis. Sur de nombreux étals, le médicament côtoie d'autres biens de consommation et est donc manipulé par des non professionnels.Ces médicaments proviennent d'importations clandestines mais également de détournement de médicaments destinés aux filières publiques et privées, mais également de dons de Médicaments Non Utilisés (MNU) en provenance des pays riches.Le commerce serait alimenté par diverses sources : les réseaux de contrebande organisés opérant depuis la Gambie et qui importent des médicaments du Nigeria et des pays d'Europe de l'Est, des achats effectués par des pharmaciens régulièrement installés auprès des grossistes répartiteurs et qui les revendent ensuite sur ce marché, des échantillons gratuits, des médicaments de la filière publique qui sont détournés, des détournements depuis le Port et l'Aéroport de Dakar et enfin les importations clandestines ou déclarées comme dons collectés en France et dans d'autres pays d'Europe. C'est une activité lucrative pour ceux qui s'y adonnent et qui attire beaucoup de Sénégalais grâce aux facilités de paiement offertes et la possibilité d'avoir le nombre de médicaments correspondant à ses ressources. C'est une économie qui mobilise des groupes sociaux et des sommes d'argent importants.
Le marché illicite du médicament n'est pas propre au Sénégal. On le retrouve dans de nombreux pays d'Afrique subsaharienne. Son impact sur la santé publique reste à mesurer, car on ne rapporte pas de séries documentées sur des accidents imputables à des médicaments achetés sur ces marchés.
Il existe un système de vases communiquant entre le marché parallèle et le marché licite avec des échanges de produits.
5. Financement des dépenses de médicaments
En 2005, le marché du médicament a représenté plus de 61 milliards de francs CFA financés par le paiement direct et indirect (système de tiers payant) des ménages, l'État, les collectivités locales, les associations et les partenaires au développement. Les ménages ont financé directement 91 % de cette dépense à travers la filière privée (48,3 milliards de francs CFA) et la filière publique (6 milliards de francs CFA) et indirectement environ 5 %, soit 3 milliards. Moins de 5 % des dépenses (environ 2,6 milliards de francs CFA) sont financés sur le budget de l'État, des collectivités locales et par les associations et le reste des partenaires. Ces financements vont à des programmes spéciaux comme l'Initiative Sénégalaise d'Accès aux Antirétroviraux, le programme National de Lutte contre la Tuberculose.
6. Accessibilité aux médicaments
L'accessibilité géographique aux points de vente des médicaments est meilleure dans la filière publique que privée. Dans le secteur public, on a autant de point de vente que de postes de santé ce qui donne un point de vente pour 11 600 habitants (avec bien sûr des variations régionales). Dans le privé, on a en moyenne une officine pour 16 000 habitants. Les officines sont d'autant plus nombreuses dans un endroit que la demande solvable y est importante. II y a une nette corrélation entre la densité des officines privées et la part relative de population pauvre, le ratio de couverture variant inversement avec le taux de pauvreté.
La disponibilité physique des médicaments essentiels des postes de santé est meilleure dans le secteur privé que dans te secteur public avec pour conséquence dans ce dernier secteur d'entraîner les modifications des traitements et le recours à d'autres points de vente comme le marché illicite.
L'accessibilité des Sénégalais aux médicaments reste peu importante et ne concerne que 60 % de la population dans la filière publique alors qu'elle n'est que de 20 % en ce qui concerne la filière privée. Dans le secteur public, les prix payés par les patients sont supérieurs aux prix publics affichés théoriques, dans un rapport allant de 1,1 à 6 fois plus cher. Cela donne un prix moyen d'acquisition des médicaments (hors consultation) de 1 000 francs CFA, somme supérieure au seuil d'accessibilité théorique de plus de 60 % la population. Il faut noter que 24 % des patients du public recevront en sus une ordonnance dont ils devront s'acquitter dans une pharmacie privée et le coût moyen de cette ordonnance sera de 2 581 francs CFA. Pour ces 24 % de la population, cela donne un surcoût de 3 661 francs CFA en dehors de la consultation.


7. Le prix des médicaments
Les médicaments coûtent cher au Sénégal malgré le fait qu'étant considérés comme des biens essentiels, ils sont exonérés de toute taxe à l'importation. Ni les taxes douanières ni la TVA ne leur sont appliquées. L'essentiel des médicaments vendus au Sénégal sont importés de France où des prix hors taxes ont été négociés.
Dans beaucoup de cas, les prix PGHT sont plus élevés en France qu'au Sénégal, mais in fine le consommateur sénégalais ne paye pas moins cher pour autant ces médicaments. En effet, les prix publics affichés sont grevés par les marges importantes que s'octroient les différents intermédiaires,
Dans la filière privée, les coefficients multiplicateurs sont de 1,86 pour les spécialités, 1,35 pour la liste sociale et 2,13 pour le conditionnement hospitalier. Dans la filière publique, le coefficient multiplicateur est de 1,8.
8. La consommation des médicaments
Dans la filière publique, la consommation de médicaments per capita va de I 000FCFA à Dakar à 223 FCFA à Kolda et suit un gradient de pauvreté. Plus l'incidence de la pauvreté est élevée, et plus le niveau de consommation par habitant est faible.
Sur les cent produits les plus vendus dans la filière privée, seuls 40 appartiennent à la liste des médicaments essentiels de l'OMS et seulement 2 sont des médicaments génériques présentés sous DCI. On retrouve parmi ces 100 produits, 19 qui ont un faible service médical rendu et représentent 26,2 % de la valeur marchande au prix public. Ces médicaments sont le plus souvent destinés à stimuler l'appétit, contre l'asthénie …
Au premier rang de la consommation, on retrouve les antalgiques antipyrétiques qui représentent 45,5 % du nombre d'unités vendues et 24,4 % de la valeur au prix public. Ensuite les vitamines, antiasthéniques et tonifiants. Les antibiotiques se retrouvent en troisième position et les antipaludéens


Le contexte pharmaceutique sénégalais est marqué par une offre variée de produits grâce à deux filières : l’une privée qui a la plus grande part du marché et l’autre publique censée permettre l’accès de tous aux médicaments. Malgré les efforts consentis par l’Etat, notamment la renonciation à toute taxe sur les médicaments, ceux-ci restent chers et peu accessibles à la majorité de la population. La filière publique qui devrait permettre l’accès aux médicaments des couches les plus modestes de la population connaît une dérive inflationniste liée sans doute à l’augmentation de ses charges.
Le renouvellement du corpus législatif et réglementaire qui régit le secteur pharmaceutique sénégalais constitue un des défis majeurs à relever.
Le développement du marché illicite du médicament constitue un défi lancer au système de santé du Sénégal et une menace grave sur l’avenir de la profession de pharmacien.La volonté politique de l’éradiquer bien qu’existante manque de vigueur.





Pour aller plus loin

République du Sénégal / Syndicat National de l'Industrie Pharmaceutique (SNIP). Étude sur l'accessibilité du médicament.
SNIP, 2001
Mission Économique de l'Ambassade de France, éludes sectorielles : Le secteur pharmaceutique. Dakar, Ambassade de
France, 2002

République du Sénégal, Ministère de la Santé, Enquête sénégalaise sur les indicateurs de santé Direction des Études, de la Recherche et de la formation, juin 2002.

Diaw F., « Commerce illicite de médicaments : un trafic juteux et nocif ». Le Soleil 2001, nov. 17, section Santé

République du Sénégal. Code de la santé du Sénégal

http://www.refer.sn/rds/rubrique.php3?id_rubrique=29